Nouvelle résidence de travail sur Le Fabricant de Miroirs, conte musical poétique et un peu métaphysique.
Interprètes : Trio Salzedo – Marine Perez (flûte) Frédérique Cambreling (harpe) Pauline Bartissol (violoncelle)
Comédienne : Cécile Leterme
Création musicale : Vincent-Raphaël Carinola
Mise en scène : Hélène Poitevin
Scénographie : Jean-Luc Priano
Sur des textes de Primo Levi et Helga Kasper
Création le 9 avril 2022 à l’Auditorium de Noisiel
Entrée libre
Le fabricant de miroirs (Le livre de Poche, trad. André Maugé) est un court récit de Primo Levi (1919-1987) qui retrace, avec un style d’une apparente simplicité et sur le ton presque enfantin du conte, les illusions et les utopies du jeune Timothée, héritier d’un atelier de miroiterie. Entre ennui, curiosité et fantasme, Timothée s’occupe à déformer l’image du monde à ses moments perdus, via ses créations de miroirs aux surfaces ondulées et asymétriques, jusqu’à inventer le MiMet, un « miroir métaphysique » destiné à rendre visible ce qu’autrui voit et pense de nous. Après une tentative ratée de commercialisation du MiMet, Timothée abandonne le projet pour redevenir un paisible et simple miroitier.
C’est sur cette trame que Helga Kasper a développé des thématiques et des personnages qui ne figurent pas dans le récit original : le travail dans l’atelier, la relation de Timothée aux trois personnages féminins, des allusions aux mythes anciens et à nos technologies contemporaines. Contrairement à la narration linéaire de la nouvelle de Primo Levi, l’adaptation d’Helga Kasper multiplie les strates narratives et temporelles : l’histoire s’ouvre avec l’imprécation d’une prêtresse venue d’un autre âge nous rappeler le mythe de Narcisse et Liriopé et nous entraîne dans un futur tout proche de nous, où photoshop côtoie les réseaux sociaux. Entre les deux, une comédienne et trois musiciennes, tour à tour interprètes, narratrices, chanteuses de cabaret, ouvrières, sorcières ou personnages du récit, nous entrainent dans un monde en perpétuelle transformation, nous offrant le spectacle de leurs métamorphoses à vue.
Dans Le fabricant de miroirs, comme dans d’autres compositions de Vincent-Raphaël Carinola basées sur des textes littéraires — Typhon (2008), sur une nouvelle de Joseph Conrad ou Zone(s) de Combat (2016), sur un roman de Hugues Jallon — le geste du musicien sur scène et la voix qui dit le texte sont intimement liés et se reflètent mutuellement, le musicien devenant acteur et l’acteur musicien. Les sujets abordés dans ces œuvres constituent des métaphores sur la fonction du musicien sur scène et le mode d’existence « spectaculaire » de l’œuvre musicale. Si théâtralité il y a, elle se trouve chez l’interprète intimement associée au jeu instrumental, dont la gestualité expressive, parfois empreinte de virtuosité, est toujours le vecteur principal de la dramaturgie.
Car c’est bien là le sujet central du Fabricant de miroirs présenté ici : le miroir dont il s’agit est celui du spectacle au cours duquel une œuvre musicale, objet de spéculation incarné par les interprètes, s’expose au public — rappelons que miroir, spectacle et spéculation ont une même origine étymologique. Les trois musiciennes sur scène sont les miroirs vivants de partitions qu’elles reflètent et projettent dans la durée — partitions à l’écriture exigeante, techniquement et physiquement —, sur lesquelles se reflète à son tour le public, saisi par la magie de leur jeu.
C’est ainsi que le personnage du récitant, endossé tantôt par la comédienne tantôt par les musiciennes, commente une action qui s’exprime le plus souvent musicalement (voir par exemple les scènes dans l’atelier et les trois scènes/dialogues), ou que la virtuosité de certains passages (en particulier dans les pièces solistes) rapproche le musicien de l’acrobate, de l’acteur déclamant son texte ou du chanteur d’opéra.