ZONE(S) DE COMBAT
pour une comédienne, trois musiciens et électronique

Voix et mise en espace : Réjane Bajard — Saxophone : Claude Georgel — Trombone : Jean-Michel Weber — Percussions : Philippe Cornus — Composition et dispositif électroacoustique : Vincent-Raphael Carinola — Lumière : Nicolas Jarry

Textes issus de Zone de Combat, Hugues Jallon, 2007, éditions Verticales.

Ne formez pas d’images, n’essayez pas, s’il vous plait.

Si l’on tentait de résumer le sujet du roman de Hugues Jallon en deux phrases (pari perdu d’avance!) on pourrait écrire ceci : dans un lieu imprécis des gens ayant été victimes d’épisodes traumatiques se regroupent pour tenter de se reconstituer, ou simplement de s’en sortir. Ce lieu et ces épisodes, jamais exposés directement mais suggérés à travers une succession de phrases inachevées et s’interrompant les unes les autres, ce lieu et les peurs qui l’habitent ressemblent cependant à notre quotidien. « Dans la zone de combat, rien ne distingue plus les périls du monde des territoires intimes » (quatrième de couverture).

Ce qui m’a immédiatement frappé à la lecture du roman de Hugues Jallon ce sont les passages, nombreux, où le sujet du texte apparaît comme une métaphore du spectacle musical même, où les mots semblent exprimer cette situation très particulière où une œuvre musicale nouvelle et un public se rencontrent dans une « salle de spectacle ». Ce rapprochement est probablement dû à celui qui peut être établi entre l’étrange thérapie de groupe dont il est question dans le roman et la fonction cathartique attribuée au spectacle vivant. 

Il y a donc au point de départ de Zone(s) de combat un certain goût de la mise en abîme (un spectacle dont le sujet est le spectacle) — qui a par ailleurs été aussi le moteur à la composition de Typhoon (2008), inspiré d’une nouvelle de Joseph Conrad, ou du Fabricant de miroirs (2022), sur un texte de Helga Kasper inspiré d’un conte de Primo Levi [1].

Dans le noir. Submergés par. Brûlant de. Devant la mer.

L’écriture de Hugues Jallon est fragmentaire, remarquablement rythmée dans son « phrasé » et changeant continuellement de registre et de vitesse. Tout en étant éminemment littéraire, le texte semble toutefois écrit pour être dit à haute voix, ce que l’auteur a souvent pratiqué dans ses propres performances.

Le choix des textes destinés au spectacle a été effectué avec Réjane Bajard, qui a assumé la redoutable tache de construire un personnage se modifiant continuellement, suivant les différents registres énonciatifs du roman, le plus souvent associés à différentes voix narratives. Ainsi, une sorte de coach ou de maîtresse de cérémonies, ou de thérapeute, s’exprimant en général à la deuxième ou troisième personne du pluriel (vous, ils) communique directement avec le public, soit pour décrire les vertus thérapeutiques de l’événement (« vous vous installez », « inspirez », « vous êtes métamorphosés »), soit pour décrire celle des musiciens sur scène (« Ils se livreront à des activités répétitives », « ils essaieront de communiquer »), dont la fonction est d’exprimer justement ce que le public ressent. Et, par leur présence même, par leur expression, d’éviter ainsi la désagrégation qui menace à la fois chaque être intime et l’ensemble de la collectivité. À d’autres moments, c’est par des bribes de phrase sans sujet que la comédienne tente de formuler avec des mots ce qui est tu par le public ou exprimé par le jeu instrumental. Dans ces moments, le langage lui-même semble se désagréger et il ne reste alors qu’un corps luttant pour faire émerger verbalement son intériorité, ses émotions. Enfin, dans certains passages c’est par un nous que la comédienne adopte le rôle d’une narratrice décrivant des situations (des guerres, des accidents) ou des paysages (une plage au Mexique) avec une certaine volonté de détachement. Détachement impossible en réalité : il ne peut être que joué.

Allez. Maintenant, vous connaissez les gestes. Vous reprenez.

Les trois musiciens occupent des espaces isolés au fond de la scène. Par leur jeu tantôt très fragmenté, tantôt franchement déclamé, ils offrent un contrepoint aux multiples registres du texte portés par la voix de la comédienne, tout en créant un espace spécifique où ils figurent, à travers leurs voix et leurs gestes, la nécessité — et peut-être l’impossibilité — d’un rapprochement, d’une communication.

Leur action est prolongée par le dispositif électroacoustique multicanal. Celui-ci plonge la scène et le public dans un environnement sonore « immersif » où les singularités (voix, instruments, texte) se décomposent et recomposent sans cesse, se confondent parfois, offrant l’expérience d’un espace sonore toujours mouvant.

Ils répétaient

nous répétions

c’est une guerre que nous menons.

Il en ressort de cet ensemble le projet même de l’œuvre : une exploration de ces « zones de combat » que sont les lieux-limites, les frontières où agissent des forces opposées, des espaces instables logés entre la voix qui dit et la voix qui émeut, entre les corps, les instruments et les machines, entre l’espace scénique et le public, entre les images véhiculées par les mots et celles véhiculées par les sons.

Cette exploration s’effectue, à l’image du roman, dans un double mouvement : la désarticulation de tous ces éléments — voix, langage, instruments, espace, scène, timbres — et la tentative de reconstitution d’un ensemble cohérent enveloppant les spectateurs/auditeurs, pris quant à eux dans un combat à l’issue incertaine.

Nous sommes prêts maintenant. Nous sommes métamorphosés.

[1] C’est aussi le cas de Stilleben (2004) et d’Unstern (2000) qui expriment, avec une certaine nostalgie, la séparation consommée entre scène et public. Les deux œuvres sont basées sur des textes originaux de Helga Kasper.

Enregistrement réalisé dans la salle d’harmonie de Chenôve (21) les 14 et 15 juillet 2016. Prises de son Anaïs Georgel et Vincent-Raphaël Carinola. Montage et mixage : Vincent-Raphaël Carinola. Réduction stéréo de la partie électronique (original en six canaux, voir fiche technique)

Spectacle musical présenté en public le 3 mars 2016 à l’Atheneum-Centre Culturel de l’Université de Bourgogne, à Dijon, en clôture des Premières Journées de la Création Musicale en Bourgogne-Franche-Comté

Voix et mise en espace : Réjane Bajard

Saxophone : Claude Georgel

Trombone : Jean-Michel Weber

Percussions : Philippe Cornus 

Composition et dispositif électroacoustique : Vincent-Raphael Carinola

Lumière : Nicolas Jarry

Technique son : Fabrice Balise

Textes issus de Zone de CombatHugues Jallon, 2007, éditions Verticales.

Collectif ZDC, Atheneum de Dijon, Why note